Nous quittons les degrés du Temple et la liturgie… Mais nous restons en poésie et même avec « le plus beau des chants », Shîr hashshîrim, en hébreu, Asma asmatôn, selon le grec de la Septante, oeuvre, peut-être, d’une poétesse au 5ème siècle avant notre ère : entrecoupé de dialogues et de descriptions lyriques, le livret décline, sans trame narrative évidente, un seul thème, l’amour. Dans l’ignorance de tout moralisme, de toute subordination ou captation mutuelles, de toute culpabilité, de toute tutelle paternelle, de toute référence au lien matrimonial et à la reproduction, même si la dimension nuptiale, symbolisée par le sceau, est indiscutable en cet épithalame paradoxal.
Au vu des accents profanes et érotiques du Cantique, de rudes bagarres ont précédé son entrée dans le canon des Ecritures et celle-ci fut rendue possible grâce à l’attribution salomonienne (fictive) et à la lecture allégorique qu’en firent les rabbins : une célébration des noces mystiques de Yahvé avec son peuple, Israël ; les chrétiens y verront la relation amoureuse du Christ avec son Eglise.
Le texte n’en est pas moins intemporel et universel si bien qu’en lecteurs d’aujourd’hui, nous tenterons, sans nullement contester la validité d’autres approches, d’en saisir la vérité anthropologique et nous nous attacherons à sa lettre, nous autorisant à écouter ces voix alternées, à lire ce recueil pour ce qu’il énonce superbement : une suite de « fragments du discours amoureux » entre un homme et une femme, différents et égaux, dont l’existence est vécue sur le mode de l’échange. « Je » et « Tu », « Elle » et « Lui », les amants du poème, comme nous êtres sexués et êtres de parole, nous tendent un miroir, porteur du mystère de l’amour humain, avec ses élans, ses espoirs, ses déceptions, ses absences, ses émerveillements, ses retrouvailles. Ils nous invitent à interroger la qualité de notre propre rapport à l’autre, notre façon, tour à tour réussie, rêvée, désirée, inquiète, de nous entre-tenir.